OpenAI-Microsoft : des fuites qui dévoilent un pacte à 20 %
Retour sur la première salve de documents confidentiels détaillant la dépendance financière d’OpenAI envers Azure.
Lire l'article →865,8 millions de dollars ont quitté les comptes d’OpenAI vers Microsoft entre janvier et septembre 2025, selon les documents dévoilés par le blogueur Ed Zitron et confirmés par TechCrunch. Ce chiffre, qui succède aux 493,8 millions versés sur l’ensemble de 2024, révèle à quel point la scale-up la plus courtisée de la planète finance en réalité son partenaire et principal fournisseur cloud. La fuite intervient alors que les banquiers new-yorkais préparent une introduction en bourse qui pourrait valoriser OpenAI au-delà de 120 milliards de dollars et que Bruxelles, Londres et Washington inspectent les dépendances croisées entre hyperscalers et laboratoires d’IA.
Derrière le montant choc se cache une mécanique contractuelle : OpenAI reverse environ 20 % de son chiffre d’affaires à Microsoft, tandis que Redmond rétrocède à son tour une part similaire des revenus générés par Bing et Azure OpenAI Service. Ces flux nets, combinés à une facture d’inférence estimée à 8,65 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de 2025, posent une question simple avec des implications mondiales : le leader de l’IA générative peut-il seulement atteindre l’équilibre sans renégocier un pacte qui façonne le marché du cloud, des semi-conducteurs et des plateformes logicielles sur trois continents ?
Les documents obtenus par Zitron tracent mois par mois la manière dont OpenAI capte et redistribue ses revenus. Au minimum, les 865,8 millions versés à Microsoft impliquent un chiffre d’affaires d’environ 4,3 milliards de dollars sur neuf mois. Ils confirment également que la société brûle davantage de cash pour l’inférence – la partie du calcul qui sert à répondre aux requêtes clients – qu’elle n’en génère. Les fuites citent une dépense d’inférence de 3,8 milliards en 2024 et de 8,65 milliards entre janvier et septembre 2025, soit davantage que les revenus annuels projetés par certains banquiers lors des roadshows.
Versements cumulés
$1,36 Md (2024 + Q1-Q3 2025)
Somme transférée à Microsoft sur 21 mois, hors royalties Bing/Azure.
Facture d’inférence
$8,65 Md sur 9 mois
En hausse de 127 % vs 2024, avec CoreWeave, Oracle et désormais AWS en appoint.
Microsoft, qui a investi plus de 13 milliards en cash et en crédits Azure, comptabilise la part d’OpenAI en « net revenue share » : la multinationale soustrait ce qu’elle reverse pour Bing et Azure OpenAI avant d’annoncer sa contribution. Ce détail comptable semble anodin, mais il change complètement la perception des marges puisque les analystes n’ont jamais obtenu de ventilation précise des revenus Bing Chat ni des offres Azure alimentées par GPT. Dans le même temps, Sam Altman répète aux investisseurs que le run-rate annuel dépasse déjà 20 milliards, un discours mis à l’épreuve par l’ampleur des coûts d’inférence et par la nécessité d’investir dans les GPU Blackwell de Nvidia ou dans les futures puces MI350 d’AMD pour rester compétitif face à Google, Anthropic et aux challengers chinois.
L’effet domino dépasse de loin Seattle et San Francisco. À Bruxelles, la direction générale de la concurrence s’interroge déjà sur la dépendance des développeurs européens à Azure OpenAI Service, tandis que Londres et Washington planchent sur des codes de conduite pour l’IA générative. En Chine, Baidu et Alibaba brandissent ces chiffres pour convaincre Pékin d’élargir les licences d’exportation de GPU américains. Les partenaires historiques d’OpenAI – de Stripe à JPMorgan en passant par les studios hollywoodiens – doivent eux aussi expliquer à leurs conseils d’administration pourquoi une part de leurs dépenses cloud file chez Microsoft sans que les données quittent forcément les serveurs du fournisseur.
La pression monte d’autant plus que le leak survient à peine quatre semaines après la conférence Ignite de Microsoft, où Satya Nadella a promis de démocratiser Copilot+ et d’introduire ses propres modèles maison. Si Redmond parvient à concurrencer OpenAI sur certaines charges, le rapport de force financier pourrait se durcir. À l’inverse, une partie du Congrès américain voit dans ces fuites la preuve que l’écosystème privé portera seul les coûts de calcul, limitant l’intérêt d’un plan Marshall public pour les datacenters. Dans tous les cas, la fuite jette une lumière crue sur une bataille planétaire pour l’accès au calcul, aux talents et aux marchés publics, bataille dans laquelle l’Europe et l’Inde cherchent encore leur position.
À court terme, Microsoft reste gagnant : l’entreprise encaisse un flux récurrent indexé sur l’hypercroissance d’OpenAI tout en finançant son propre catalogue Copilot. Les régulateurs qui craignaient un deal léonin y verront aussi un argument pour exiger des obligations d’interopérabilité ou des garde-fous sur l’exclusivité des modèles. Du côté des clients, la promesse de fiabilité se maintient : tant que les serveurs Azure tournent, les SLA d’OpenAI suivent. Mais cette dépendance croisée annule la diversification recherchée par les banques, les assureurs et les opérateurs télécoms qui voulaient éviter les verrouillages techniques après les scandales de concentration dans le cloud.
Les perdants potentiels sont les concurrents open source et les hyperscalers alternatifs. CoreWeave et Oracle, pourtant mentionnés comme fournisseurs complémentaires, se retrouvent relégués au rôle de roues de secours. Si OpenAI continue de subventionner ses clients pour conquérir des parts de marché, elle devra à nouveau lever de la dette ou faire appel à des fonds souverains moyen-orientaux, ce qui poserait d’autres questions de gouvernance. L’équation écologique reste aussi dans l’angle mort : 8,65 milliards de dépenses d’inférence signifient des mégawatts absorbés et une pression accrue sur les chaînes d’approvisionnement en GPU, au moment où l’Europe impose des bilans carbone aux services numériques.
Enfin, les investisseurs devant préparer une IPO record disposent enfin de chiffres tangibles, mais ils doivent encore trancher : paient-ils pour un champion logiciel rentable à long terme ou pour un opérateur de calcul premium sous perfusion ? Tant que les clauses précises du pacte resteront confidentielles, les banquiers continueront d’appliquer une décote de risque réglementaire et énergétique. Les ingénieurs, eux, pressent Altman de sécuriser plus vite ses propres clusters afin d’éviter que chaque pic d’activité ne se traduise par un transfert de valeur immédiat vers son partenaire historique.
Cette fuite agit comme un stress test public pour OpenAI. Elle force la start-up à prouver qu’elle sait équilibrer hypercroissance et discipline financière, tout en rassurant les régulateurs qui craignent un oligopole du calcul. Les neuf prochains mois diront si Sam Altman renégocie avec Microsoft, s’il avance sur des clusters indépendants ou s’il accepte de ralentir la cadence commerciale pour préserver ses marges. Dans un marché où les investisseurs exigent déjà des preuves d’utilisation responsable de l’énergie et de souveraineté des données, ce nouveau chapitre rappelle que l’IA ne se jouera pas seulement sur les modèles, mais sur la manière de financer – et de gouverner – l’infrastructure mondiale qui les propulse.
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