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OpenAI-Microsoft : des fuites qui dévoilent un pacte à 20 %

15 novembre 20259 min de lecture

Les documents confidentiels obtenus par TechCrunch montrent qu'OpenAI reverse 20 % de ses revenus à Microsoft, tout en brûlant plusieurs milliards en calcul d'inférence pour tenir la cadence face aux rivaux. Cette photographie rare des flux financiers entre les deux partenaires lève enfin le voile sur l'économie d'un modèle de fondation évalué plus de 80 milliards de dollars, mais dont la rentabilité reste fragile. Les chiffres, compilés par le blogger Ed Zitron avant d'être vérifiés par TechCrunch, détaillent les versements effectués en 2024 et sur les trois premiers trimestres 2025 et confirment l'intensité capitalistique de l'IA générative à grande échelle.

Derrière le storytelling officiel d'une conquête fulgurante, l'accord d'actionnaires révèle une dépendance mutuelle : Microsoft encaisse près d'un cinquième des ventes d'OpenAI, tandis que la start-up s'appuie sur les crédits Azure pour financer la plupart de ses entraînements. L'équation pose une question simple : la croissance à deux chiffres suffit-elle à compenser un coût d'inférence qui dépasserait déjà les revenus en cash générés par ChatGPT Enterprise, l'API et les nouveaux services de voix ou d'images ?

Ce que révèlent les chiffres fuités

Selon TechCrunch, Microsoft a perçu 493,8 millions de dollars de revenus partagés en 2024 et déjà 865,8 millions sur les neuf premiers mois de 2025. Si l'on applique le taux contractuel de 20 %, cela implique au moins 2,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2024 et 4,33 milliards sur janvier-septembre 2025, un minimum cohérent avec les estimations de The Information. Loin de se contenter d'encaisser, l'entreprise de Redmond reverse elle aussi environ 20 % des revenus tirés de Bing et d'Azure OpenAI Service, ce qui signifie que les montants communiqués correspondent à un partage net.

  • 493,8 M$ versés à Microsoft en 2024 par OpenAI (source : TechCrunch)
  • 865,8 M$ supplémentaires sur les trois premiers trimestres 2025
  • Azure reste l'infrastructure principale malgré des accords avec CoreWeave, Oracle, AWS et Google Cloud
  • Run rate évoqué par Sam Altman : plus de 20 milliards de dollars annualisés fin 2025

Les documents fuité suggèrent aussi que Microsoft comptabilise ces versements comme des flux nets, une nuance cruciale pour comprendre la profondeur du partenariat. Les redevances issues de Bing Copilot ou des API Azure OpenAI sont déduites avant la remontée vers Redmond, ce qui limite l'effet d'aubaine immédiat mais garantit aux deux acteurs un alignement sur la valeur réellement produite par les clients finaux.

Une dépendance Azure à double tranchant

L'accord de 13 milliards de dollars conclu depuis 2019 place OpenAI dans une situation paradoxale : la jeune pousse dispose des crédits Azure nécessaires pour entraîner GPT-4.1 et ses dérivés, mais reste prisonnière d'une infrastructure propriétaire. Malgré les contrats annoncés avec CoreWeave, Oracle ou Google Cloud, l'écrasante majorité des inférences de ChatGPT et des API reste exécutée sur Azure, ce qui laisse à Microsoft un droit de regard technique et financier sans équivalent. Les fuites rappellent que l'inférence représente 3,8 milliards de dollars de dépenses en 2024 et 8,65 milliards entre janvier et septembre 2025, contre une facture d'entraînement majoritairement réglée en crédits.

Cette structure incite OpenAI à multiplier les cas d'usage premium pour déplacer ses clients grand public vers des forfaits plus rentables. Les bundles ChatGPT Enterprise, Operator ou Canvas ont précisément pour objectif d'absorber les coûts massifs de calcul temps réel. La question reste posée : les marges dégagées sur ces offres suffiront-elles à compenser l'explosion des requêtes lors des lancements de GPT-4.o mini ou des fonctionnalités voix ? Sans maîtrise directe de son stack matériel, OpenAI doit négocier chaque montée en charge avec Microsoft, ce qui alimente les spéculations sur une éventuelle diversification rapide vers AWS ou GCP.

Stratégie financière : arbitrer entre revenus et dépenses

Per Zitron, OpenAI aurait dépensé plus en inférence qu'elle n'a encaissé en revenus en 2024, une observation qui renforce l'idée d'une course à l'échelle financée à perte. L'entreprise peut compter sur les avances de Microsoft, mais doit en parallèle rassurer les salariés-actionnaires qui anticipent une introduction en Bourse ou une opération secondaire en 2026. Les déclarations de Sam Altman promettant 100 milliards de dollars de revenus à horizon 2027 paraissent ambitieuses, mais elles visent surtout à convaincre les investisseurs que la monétisation des agents, des API spécialisées et des offres audio suffira à sortir de la zone rouge.

Les choix de capitalisation auront des implications sociales : si OpenAI poursuit une stratégie de prix agressive pour gagner des parts de marché, il lui faudra absorber des coûts d'énergie, de refroidissement et de main-d'œuvre croissants. À l'inverse, une hausse rapide des tarifs pourrait ouvrir un boulevard à Anthropic, Google ou Meta pour attirer les PME à la recherche de modèles plus abordables. La fuite de documents agit donc comme un rappel : la bataille de l'IA se joue autant dans les datacenters que sur les communiqués marketing.

Analyse Critique

L'accord OpenAI-Microsoft a permis de sécuriser les investissements nécessaires pour former les modèles GPT et accélérer la diffusion mondiale d'outils de productivité. Le pacte offre aussi aux clients une intégration étroite dans la suite Microsoft 365, ce qui facilite l'adoption en entreprise. En contrepartie, la dépendance à un fournisseur unique fragilise la résilience du champion de l'IA générative : toute rupture contractuelle ou incident majeur chez Azure aurait un effet immédiat sur les services clients d'OpenAI.

Atouts identifiés

  • Capacité à financer des modèles toujours plus grands sans passer par les marchés publics
  • Distribution mondiale via Azure et Microsoft 365, réduisant les coûts commerciaux
  • Alignement des feuilles de route produit entre Copilot, Bing et ChatGPT

Limites et risques

  • Inertie financière : chaque dollar gagné est amputé de 20 % avant d'être réinvesti
  • Vulnérabilité réglementaire face aux enquêtes antitrust visant le duo Microsoft-OpenAI
  • Coût d'inférence qui augmente plus vite que la monétisation observée

Points de vigilance et controverses

À court terme, l'incertitude porte sur la capacité d'OpenAI à diversifier ses revenus au-delà du texte. Les services de voix, de vision et d'agents autonomes restent gourmands en GPU Nvidia H100 ou B200, des ressources encore rares. Les régulateurs américains et européens pourraient par ailleurs interpréter le partage de revenus comme une intégration verticale de facto, alors que Microsoft détient déjà 49 % des droits économiques d'OpenAI Global LLC. Une injonction serait synonyme de recomposition capitalistique et de nouveaux besoins de financement.

Pour les clients, la transparence des coûts devient un sujet majeur. Plusieurs DSI interrogés par TechCrunch expliquent qu'ils cherchent à comparer les offres Anthropic, Google ou Mistral sur la base du coût total de possession, y compris la latence et l'hébergement des données. Le moindre dérapage médiatisé sur la confidentialité des prompts ou la gouvernance des modèles renforcerait la pression pour basculer sur des solutions open source déployées sur site.

Regards croisés

Ed Zitron met en avant le risque d'une bulle de valorisation alimentée par des revenus largement rétrocédés à Microsoft. Un cadre cité anonymement par TechCrunch insiste de son côté sur la nature « nette » des montants, estimant que l'accord demeure équilibré. Les investisseurs sondés par The Information voient plutôt l'opportunité d'une introduction en Bourse qui mettrait fin à l'opacité actuelle et permettrait aux salariés d'exercer leurs stock-options. Enfin, les grands comptes utilisateurs de GPT-4.1 espèrent que cette transparence forcée conduira à une tarification plus lisible et à des garanties financières en cas d'indisponibilité de la plateforme.

En toile de fond, Sam Altman répète que l'objectif reste de créer une AGI sûre et de démocratiser les outils de raisonnement. Mais la réalité financière rappelée par les fuites oblige désormais OpenAI à prouver qu'elle peut conjuguer mission long terme et discipline budgétaire. Le débat sur l'ouverture du capital ou l'arrivée de partenaires industriels supplémentaires n'en est qu'à ses débuts.

Conclusion

Les documents exhumés cette semaine agissent comme un électrochoc : derrière les annonces produits de GPT-4.1, la machine OpenAI tourne à plein régime mais doit encore convaincre que sa trajectoire est soutenable. Si l'entreprise réussit à optimiser ses inférences, à élargir sa base de revenus et à clarifier la gouvernance avec Microsoft, elle pourra consolider sa place de leader. Dans le cas inverse, la pression des régulateurs et des concurrents pourrait la pousser à revoir sa stratégie plus tôt que prévu.

Sources

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