Façade monumentale d'un tribunal européen

Google condamné à 572 M€ : Berlin relance la guerre des comparateurs

15 novembre 20259 min de lecture

572 millions d’euros. C’est la somme record qu’un tribunal de Berlin vient d’ordonner à Google de verser à deux poids lourds européens de la comparaison de prix, Idealo et Producto, à la suite d’une plainte appuyée par le précédent historique de la Cour de justice de l’Union européenne en 2024. En une matinée, le bras de fer vieux de dix ans sur la place des services concurrents dans les résultats de recherche vient de prendre une dimension financière digne des plus gros litiges antitrust.

Au-delà des indemnisations — 465 millions d’euros pour Idealo et 107 millions pour Producto —, la décision révèle que l’Europe veut convertir ses grands principes de régulation en cash immédiatement palpable pour les acteurs lésés. Reuters a révélé que les deux plateformes allemandes s’appuient sur la jurisprudence d’un dossier qui avait déjà coûté 2,7 milliards de dollars à Google en 2024 pour favoritisme de ses propres services d’achat. Google a annoncé faire appel, mais la pression publique est déjà montée de plusieurs crans.

Une condamnation qui dépasse Berlin

L’affaire a été instruite sur le terrain allemand, mais elle renvoie au cœur des engagements pris par Bruxelles dans ses directives sur les marchés numériques. Idealo réclamait initialement 3,3 milliards d’euros de dommages, considérant que l’auto-préférencement de Google Shopping l’avait privé de visibilité pendant des années sur l’ensemble du continent. Son cofondateur Albrecht von Sonntag l’a martelé dans un communiqué relayé par TechCrunch : « L’abus de position dominante doit cesser d’être un modèle économique rentable ». Le jugement de Berlin valide au moins partiellement l’argument.

En face, Google rappelle que ses correctifs datent de 2017 avec la création d’un « Shopping Unit » censé offrir aux comparateurs tiers la même exposition publicitaire que le service maison. La firme assure que 1 550 plateformes européennes utilisent désormais ce remède, contre sept au lancement, et promet de porter l’affaire devant une juridiction supérieure. Mais la défense se complique alors que Bruxelles examine également l’impact de la nouvelle politique anti-spam de Google sur le référencement des médias européens et qu’un autre mégadon de 2,95 milliards d’euros vient de tomber pour favoritisme publicitaire.

Pour les États membres, l’arrêt de Berlin donne une feuille de route claire : les entreprises peuvent invoquer la jurisprudence européenne pour réclamer des dommages chiffrés sans attendre les lenteurs communautaires. Madrid, Paris ou Varsovie, qui hébergent des acteurs locaux de la comparaison d’assurances, de voyages ou de crédits immobiliers, voient soudain une opportunité de monétiser des griefs dormants.

La riposte des comparateurs et des régulateurs

La décision intervient dans un écosystème où la comparaison de prix influence plusieurs centaines de milliards d’euros d’achats transfrontaliers. Idealo revendique 70 millions de visites mensuelles en Europe, Producto se spécialise dans l’électronique grand public, et les deux plateformes affirment avoir perdu des contrats pan-européens lorsque Google favorisait son propre widget. L’enjeu dépasse l’e-commerce : il touche les moteurs de recherche spécialisés dans l’assurance santé, l’énergie ou même les billets de train, secteurs où Bruxelles veut des garde-fous.

Ce que surveillent les autorités

  • L’extension des demandes de dommages à d’autres places fortes du commerce en ligne (Paris, Amsterdam, Milan).
  • Le respect effectif des obligations du Digital Markets Act (DMA) par Google, Apple, Meta, Amazon et TikTok.
  • La possibilité d’exiger un séquestre provisoire pour éviter que Google n’étire les procédures pendant des années.
  • L’émergence de coalitions internationales : l’Australian Competition and Consumer Commission étudie déjà la décision.

Pour les commerçants et les marques, la décision redonne un pouvoir de négociation précieux. Les acteurs qui paient chaque année des budgets à huit chiffres pour apparaître dans Google Shopping peuvent désormais menacer de se détourner si la firme n’offre pas de garanties plus robustes en matière de transparence algorithmique. Les régulateurs américains suivent également le dossier : la Federal Trade Commission, qui plaide sa propre plainte antitrust contre Google, dispose maintenant de chiffres frais pour illustrer l’impact économique des pratiques reprochées.

Analyse critique

✅ Les gagnants immédiats sont les comparateurs européens et plus largement toutes les entreprises qui vivent de la visibilité sur Google. Elles voient enfin une équation financière claire : contester peut rapporter plus que subir. Cela incite aussi les investisseurs à soutenir des alternatives régionales, puisqu’une protection réglementaire tangible existe désormais.

⚠️ Le risque, c’est que Google répercute la facture en réduisant la portée des remèdes DMA ou en augmentant les coûts publicitaires pour les retailers européens. Une guerre judiciaire prolongée pourrait aussi amener l’entreprise à retarder, voire à désactiver certaines fonctions Shopping dans l’Espace économique européen, ce qui pénaliserait paradoxalement les utilisateurs finaux.

🔍 Côté régulation, la décision pose encore des questions : comment évaluer précisément le manque à gagner des plaignants ? Quels garde-fous imposer pour empêcher les Google, Meta ou Amazon de compenser un marché par un autre ? Et surtout, comment éviter que les PME ne se retrouvent écrasées entre des procédures onéreuses et une visibilité toujours pilotée par les géants ? Ce sont ces angles morts que Bruxelles devra combler en 2026 lorsqu’elle préparera l’actualisation du DMA.

Conclusion

L’amende berlinoise transforme un litige logé dans les tribunaux nationaux en signal international : l’UE passe de la théorie à la caisse lorsqu’il s’agit de punir l’auto-préférencement. Google compte faire appel, mais doit désormais arbitrer entre un bras de fer judiciaire coûteux et la préservation de son image alors que les autorités américaines, australiennes et sud-américaines scrutent chaque mouvement. Pour les lecteurs, l’impact est concret : le pouvoir de choisir un comparateur indépendant au moment de réserver un voyage ou d’acheter un smartphone dépend des concessions que Google acceptera dans les prochains mois. La question ouverte reste simple : combien de temps encore la firme pourra-t-elle jouer la montre ?

Sources

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