Apple Watch et capteurs biométriques

Apple condamné à 634 M$ face à Masimo : la guerre des capteurs s'emballe

16 novembre 20259 min de lecture

634 millions de dollars : c’est la somme record qu’un jury fédéral de Californie ordonne à Apple de verser à Masimo pour avoir violé un brevet clé de mesure de saturation en oxygène. En jugeant que le mode entraînement de l’Apple Watch et ses notifications cardiaques utilisaient une technologie protégée, le verdict transforme un litige américain en message global pour l’ensemble des wearables médicaux. Cette décision intervient alors que la Commission européenne réévalue les exemptions accordées aux dispositifs de santé connectés et que la Chine accélère ses propres normes sur les données physiologiques.

Apple promet d’interjeter appel et assure que le brevet incriminé a expiré en 2022. Masimo, de son côté, salue « une victoire majeure pour les innovateurs qui investissent dans la recherche clinique ». Pour les consommateurs, la bataille dépasse le cas d’espèce : elle pose la question de la confiance dans les capteurs non invasifs, de la souveraineté des données biométriques et de la capacité des big tech à contourner des interdictions, comme lorsque Cupertino a relancé la mesure de SpO₂ en déportant les calculs vers l’iPhone pour éviter un bannissement douanier.

Chronologie d’une escalade transfrontalière

Le différend Apple-Masimo court depuis 2020. Après avoir recruté plusieurs cadres du spécialiste californien des équipements hospitaliers, Apple est accusé d’avoir répliqué ses algorithmes d’oxymétrie pour gagner la course aux fonctionnalités santé. L’International Trade Commission a fini par bannir fin 2023 l’importation des Apple Watch équipées de capteurs SpO₂, forçant Apple à retirer temporairement la fonctionnalité du marché américain et à conserver un comportement limité dans l’Union européenne. L’été dernier, Apple a annoncé un contournement élaboré : le calcul de la saturation serait désormais effectué par l’iPhone jumelé, ce qu’autorisa la douane américaine, au grand dam de Masimo qui a saisi la justice.

  1. 2020-2022 : Apple recrute l’équipe médicale de Masimo et lance le capteur SpO₂ intégré aux séries 6 à 8.
  2. Décembre 2023 : l’ITC interdit l’importation des montres incriminées, décision temporairement levée puis confirmée.
  3. Août 2025 : Apple déporte le calcul SpO₂ sur l’iPhone pour contourner l’interdiction douanière.
  4. Novembre 2025 : le jury fédéral attribue 634 M$ de dommages à Masimo et relance les débats sur la propriété intellectuelle médicale.

Ce calendrier montre que les contentieux hardware ne sont plus confinés aux pays où les procès sont intentés. L’Allemagne surveille déjà de près les accessoires de santé connectés dans le cadre du Digital Markets Act, tandis que l’Inde réfléchit à exiger un stockage local des données biométriques. Les assurances européennes, qui intègrent l’Apple Watch à leurs programmes de prévention, craignent désormais une rupture d’approvisionnement si les décisions américaines venaient à s’appliquer aux modèles fabriqués en Asie mais destinés au Vieux Continent.

Un dossier emblématique des tensions entre innovation et régulation

Masimo n’est pas un acteur isolé. Garmin, Withings, Xiaomi ou Huawei suivent l’affaire de près car une jurisprudence favorable à Masimo pourrait renforcer leurs propres revendications face à Apple ou Samsung. Inversement, une suspension de la sanction en appel encouragerait les géants américains à internaliser encore plus de technologies critiques en recrutant des équipes entières chez leurs fournisseurs, au risque d’affaiblir l’écosystème de medtech indépendantes. L’affaire rappelle aussi que la frontière entre dispositif médical et gadget grand public reste floue : aux États-Unis, l’autorité sanitaire (FDA) autorise certaines fonctionnalités d’Apple Watch comme dispositifs de classe II, tandis que l’Europe exige désormais un marquage CE médical pour les métriques thérapeutiques.

Un autre enjeu majeur se joue sur la chaîne logistique. Depuis la guerre commerciale États-Unis–Chine, Apple a multiplié les sites d’assemblage de montres connectées en Inde et au Vietnam. Les partenaires asiatiques redoutent qu’un appel prolongé ne retarde les volumes et n’affecte des milliers d’emplois. Pendant ce temps, Masimo étend son offensive en déposant des plaintes additionnelles au Canada et au Royaume-Uni, de façon à verrouiller les marchés où les hôpitaux achètent massivement ses moniteurs patient. Ce conflit devient donc un test de résilience industrielle pour Apple et un modèle de riposte juridique coordonnée pour les équipementiers spécialisés.

Analyse critique : qui gagne, qui perd ?

Masimo gagne un jugement spectaculaire qui crédibilise sa stratégie de diversification vers les montres grand public (gamme W1) et rallie les régulateurs sensibles au transfert de technologies hospitalières. Mais l’entreprise reste exposée : une victoire sur le papier ne garantit pas qu’Apple paiera immédiatement, et Masimo dépend toujours des ventes hospitalières dans 150 pays où Apple est aussi client via ses iPads pour le personnel médical.

Apple, lui, voit son image d’innovateur ternie et devra consacrer une part plus importante de ses 28 milliards de dollars de R&D à des développements internes ou à des acquisitions de brevets. Le risque est aussi commercial : si l’interdiction SpO₂ devait s’étendre à l’Europe, les programmes d’assurance santé connectée qui subventionnent l’Apple Watch pourraient se tourner vers Fitbit ou Withings, ce qui fragiliserait l’objectif de transformer la montre en hub de suivi médical global.

Les utilisateurs et les régulateurs, enfin, obtiennent un levier. Les premiers verront sans doute se multiplier les options open hardware, voire des offres modulaires capables de changer de capteur sans violer un brevet. Les seconds pourront utiliser ce dossier pour justifier de nouvelles obligations de transparence sur la collecte de données biométriques et sur la collaboration avec les hôpitaux. Reste l’angle mort écologique : en remplaçant prématurément des millions de montres faute de mise à jour, les consommateurs risquent d’alourdir une empreinte carbone déjà pointée du doigt par les ONG.

Conclusion : un verdict au-delà des frontières

L’amende de 634 millions n’est que la partie émergée d’un iceberg réglementaire. Elle rappelle que les guerres de brevets ne sont plus un sport réservé aux semi-conducteurs ou aux smartphones, mais qu’elles s’étendent aux objets qui touchent directement la santé des citoyens. Pour Apple, l’heure est à la diplomatie industrielle avec ses fournisseurs et ses régulateurs ; pour Masimo, c’est l’occasion d’accélérer des partenariats globaux et d’entériner sa réputation d’innovateur patient. Quant aux acteurs du bien-être connecté en Europe, en Asie ou en Amérique latine, ils disposent désormais d’un précédent juridique pour défendre leur propriété intellectuelle et réclamer une meilleure sécurité des données patients.

Sources

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