Robotaxis : méfiance record envers Tesla, prudence chez Waymo
Pourquoi la bataille des taxis autonomes se joue aussi devant les régulateurs et les investisseurs.
Lire l'article →« Montrez-nous vos données ». C’est l’injonction lancée par Tekedra Mawakana, co-PDG de Waymo, sur la scène de TechCrunch Disrupt mi-octobre. Trois semaines plus tard, Tesla répond par un tableau de bord spectaculaire : selon la marque, les conducteurs qui utilisent Full Self-Driving (Supervised) parcourent 5 millions de miles avant une collision majeure et 1,5 million avant un accrochage mineur. De quoi revendiquer une avance sur la moyenne américaine (699 000 miles par accident grave selon la NHTSA) et reprendre la main sur un récit où les critiques se multipliaient.
Le constructeur texan avait été accusé pendant des années de publier des rapports incomplets, centrés sur Autopilot (système de niveau 2 limité aux autoroutes) plutôt que sur FSD, son produit le plus controversé. En ouvrant une page dédiée avec une méthodologie détaillée — déclenchement d’airbags, seuil de 5 secondes avant impact pour compter un accident —, Tesla veut démontrer que ses 500 000 conducteurs FSD peuvent rivaliser avec les robotaxis de Waymo ou Cruise sur un terrain qui compte autant pour les clients que pour les investisseurs : la sécurité.
En scrutant les petits caractères, on découvre deux séries de données. La moyenne glissante sur douze mois affiche 5 millions de miles entre deux collisions majeures lorsque FSD est activé, mais les tableaux mis à jour hebdomadairement descendent à 2,9 millions de miles. Tesla assume cette oscillation : certaines mises à jour logicielles conduisent à des phases de recalibrage où la prudence des conducteurs change. Pour les accidents mineurs, la fourchette navigue entre 986 000 et 1,5 million de miles, soit cinq à six fois mieux que la moyenne nationale (178 000 miles).
L’entreprise précise aussi comment elle classe les événements : un accident majeur correspond à un déclenchement d’airbags ou de prétensionneurs pyrotechniques. L’indicateur s’appuie sur les données brutes remontées par les véhicules, sans passer par des déclarations humaines. Les collisions mineures englobent les impacts où la télémétrie détecte un pic de décélération inférieur mais supérieur à 1,5g, ce qui couvre la majorité des accrochages urbains.
Ce niveau de détail était jusqu’ici réservé aux régulateurs (NHTSA, DMV californien). Le publier sur le site de Tesla, avec promesse de mises à jour trimestrielles, signe une inflexion stratégique. Tesla souligne aussi que le Robotaxi expérimental d’Austin, toujours conduit par des employés, n’est pas intégré à cette base et que les chiffres ne portent que sur l’Amérique du Nord, où FSD circule officiellement au Canada et aux États-Unis.
Si Tesla sort du bois, c’est que Waymo multiplie les passes d’armes. L’entreprise d’Alphabet publie depuis 2023 un rapport détaillant des millions de miles parcourus à Phoenix, Los Angeles ou San Francisco, avec un ratio de 5 fois moins d’accidents que des conducteurs humains et 12 fois moins d’incidents impliquant des piétons. Lors de Disrupt, Tekedra Mawakana ironisait : « Je ne sais pas qui met réellement la route plus en sécurité, car personne ne partage de données. »
Les régulateurs se nourrissent de ce duel. La NHTSA maintient plusieurs enquêtes ouvertes sur les collisions impliquant Autopilot, tandis que la Californie a suspendu Cruise. En dévoilant sa méthode (référence à la norme fédérale FMVSS 563.5, définition de l’intervalle de 5 secondes), Tesla coupe l’herbe sous le pied des critiques qui l’accusaient de sélectionner ses chiffres. Mais elle s’expose aussi à davantage d’examen : désormais, chaque accident filmé sur les réseaux sociaux pourra être comparé à la base officielle et utilisé pour contester ses ratios.
L’entreprise rappelle que ces données sont agrégées automatiquement et qu’elle ne publiera pas les taux de blessures, faute de remontées standardisées. Elle insiste aussi sur un point qui fâche : « FSD (Supervised) n’est pas une conduite autonome », ce qui transfère la responsabilité finale au conducteur. Or Waymo ou Zoox vantent au contraire le retrait total du volant. L’écart philosophique alimente un débat mondial sur le niveau de supervision acceptable pour déployer des flottes commerciales.
✅ Les investisseurs obtiennent enfin un thermomètre crédible pour évaluer FSD, la ligne de revenus la plus rentable de Tesla (12 000 $ par licence ou 200 $/mois). Les autorités disposent d’une base commune pour comparer Tesla aux robotaxis. Et les conducteurs peuvent opposer un argument chiffré aux assureurs qui pénalisaient les véhicules équipés.
⚠️ Mais l’initiative soulève des doutes. Les données ne couvrent que l’Amérique du Nord, alors que Tesla vend FSD en version bêta dans plusieurs pays européens. Surtout, l’entreprise agrège les parcours urbains et autoroutiers, alors que le risque est très différent. Enfin, la comparaison avec la moyenne NHTSA (505 000 miles entre accidents graves) ne tient pas compte du profil socio-économique des propriétaires, qui roulent souvent dans des environnements plus favorables.
🔍 La question la plus critique reste celle de la certification. Tesla veut lancer un robotaxi sans volant en 2026, mais les régulateurs demanderont des preuves segmentées par usage, météo, villes. Faute de granularité, la publication actuelle ressemble davantage à un coup de communication pour rassurer Wall Street et répondre à Waymo qu’à un véritable audit. Elle n’en demeure pas moins une étape : à mesure que les États-Unis, l’Europe et la Chine imposeront des normes d’accidentologie, la transparence deviendra un prérequis pour commercialiser de l’IA embarquée.
En publiant ses ratios de collisions, Tesla reconnaît que la bataille de l’autonomie se gagnera autant dans la communication que dans la R&D. Waymo et Cruise ont imposé leurs standards de transparence ; Elon Musk tente de montrer qu’il peut jouer dans la même cour sans renier son modèle centré sur la supervision humaine. La prochaine étape consistera à ventiler ces chiffres par villes et par scénarios critiques, faute de quoi Tesla devra se contenter d’un avantage marketing. Pour les consommateurs, la question demeure : accepteront-ils de servir de cobayes alors que les robotaxis sans conducteur multiplient les pilotes gratuits dans les métropoles ?
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